L’épineuse question de l’écriture inclusive

Trois carnets superposés sur une table blanche, accompagnés de deux stylos.

L’écriture inclusive est un sujet qui divise, aussi bien au sein de la société dans son ensemble que dans les sphères politiques et les discussions de comptoir. Les correcteur·ices n’échappent donc pas à ce débat, puisque cela touche directement leur cœur de métier. Voici donc un point rapide sur ce sujet, dans l’espoir de vous convaincre du bien-fondé de l’écriture inclusive.

Elle peut prendre plusieurs formes, et est présente au quotidien tout autour de nous. Si vous jetez un œil à votre carte d’identité (émise avant 2018), vous y verrez un peu d’écriture inclusive, à la ligne « Né(e) le ». La parenthèse, quoique critiquée par certain·es spécialistes de l’écriture inclusive, en est pourtant une forme répandue, et assez bien acceptée. Elle permet d’indiquer la marque du féminin, mais la place pourtant toujours en dessous du masculin, puisque ce qui est entre parenthèses n’a pas le même statut que ce qui est en dehors. C’est pourquoi la recherche d’une nouvelle graphie, plus égalitaire, pour signaler le féminin, s’est arrêtée sur le point médian. Son avantage est de n’avoir aucun autre usage dans la langue française, cela évite donc les confusions et les problèmes de sens.

L’argument de l’illisibilité du point médian, qui alourdirait le texte, ne tient pas la route car, dans la pratique, on ne l’emploie que toutes les quatre ou cinq pages. Cela ne semble pas constituer une entrave à la lecture. Et comme pour tout, c’est une question d’habitude. Plus nous sommes confronté·es au point médian, plus nous nous y habituons, et moins nous y faisons attention.

Si l’usage du point médian ou des parenthèses ne vous convient pas, vous pouvez toujours vous tourner vers les doublets, c’est-à-dire l’utilisation des formes masculines et féminines à la suite, comme dans les formules bien connues d’ouverture de discours telles que « Françaises, Français » ou encore « Mesdames et Messieurs ». Ces doublets permettent d’inclure tout le monde, mais peuvent avoir l’inconvénient d’alourdir le texte. Le point médian permet d’abréger ces doubles flexions : il est inclusif, et n’oblige pas à répéter le même mot décliné pour chaque genre. « Bonjour à tous·tes les étudiant·es » est moins lourd que « Bonjour à tous les étudiants et toutes les étudiantes », sans exclure personne.

Si cela ne vous convient toujours pas, vous pouvez vous tourner vers les mots et formules épicènes1, ou les termes englobants. Parler du personnel soignant plutôt que des infirmier·es. Parler des élèves plutôt que des collégien·nes ou des lycéen·nes. Revenons à notre carte d’identité : si la vôtre a été émise après 2018, vous pourrez y lire, à la place de « Né(e) le », la formule non-genrée « Date de naissance » : l’information est la même, mais le genre n’y est pas précisé, puisque non nécessaire dans ce contexte-ci.

Voilà un aperçu des différentes formes que peut prendre l’écriture inclusive, et des possibilités qui existent pour inclure les femmes, au même titre que les hommes, dans nos textes. C’est une habitude à prendre, mais si nous arrivons à comprendre les règles du participe passé, nous avons les capacités cognitives d’adapter notre langage pour ne pas en exclure la moitié de la population. Car au-delà d’un combat féministe qui paraît peut-être superflu à certains (« Il y a plus grave », rétorquent quelques réfractaires), les usages de la langue ont un impact concret au quotidien.

L’usage du masculin générique et dominant n’a pas de légitimité linguistique, et peut, au contraire, avoir de réels impacts discriminants. L’exemple proposé par les linguistes atterré·es, dans leur tract Le français va très bien, merci, est celui des offres d’emploi rédigées au masculin. En comparaison avec les offres rédigées de façon neutre ou incluant les deux genres, celles au masculin reçoivent en général moins de candidatures de la part des femmes, qui ont tendance à ne pas se reconnaître dans le profil recherché ou à remettre en doute leur légitimité pour le poste.

C’est également l’exemple que m’a donné un intervenant en milieu scolaire : pendant un atelier avec des élèves, s’il leur demande d’imaginer un héros, les élèves ne proposeront que des figures masculines. Alors que s’il leur demande d’imaginer un héros ou une héroïne, les élèves comprennent qu’ils ont le droit d’y inclure des personnages féminins, et pas seulement masculins. Dans l’imaginaire collectif, si un métier ou un rôle n’est évoqué qu’au masculin, on n’imaginera pas une femme l’exercer. Les petites filles ne se rêveront pas pompier, médecin ou président, car elles n’ont pas de représentations féminines de ces métiers. La représentation est importante, si l’on veut tendre à une société plus égalitaire entre les hommes et les femmes, et cela passe, entre autres, par les usages de la langue.

La règle du masculin qui l’emporte est également remise en question par l’écriture inclusive, qui lui oppose la règle de l’accord de proximité, plus juste. Car le masculin qui l’emporte est un héritage du XVIIe siècle imprégné de mépris sexiste. Nicolas Beauzée, grammairien et membre de l’Académie française, fervent défenseur de l’accord au masculin, le justifiait ainsi : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »2 La preuve que les choix que nous faisons au quotidien, dans notre travail de correcteur·ices, ont un fondement idéologique, et qu’ils ont un impact sur la société et ses biais sexistes, dans un sens ou dans l’autre.


Pour continuer la réflexion :


Notes

  1. Se dit d’un mot dont la graphie ne varie pas avec le genre. ↩︎
  2. Citation extraite de l’ouvrage Le langage inclusif : pourquoi, comment, d’Éliane Viennot. ↩︎


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